Tunisie : le corps du peuple

Venue du centre de la Tunisie, une « caravane de la libération » a occupé près d’une semaine, la place de la Primature, à Tunis. Retour sur un mouvement qui symbolisa, physiquement, l’unité de la révolution tunisienne et incarna le corps de tout un peuple.

Ce 21 janvier 2011, ils ont décidé de venir à Tunis. Et de terminer ce qu’ils avaient commencé à Kasserine, Sidi Bouzid, Thala, ou Menzel Bouzaiane. Eux, ce sont les jeunes des gouvernorats du centre de la Tunisie, ces chômeurs, souvent diplômés, vivant de boulots à la petite semaine, les peu visibles aux marges d’un système dont ils étaient les soutiers et les premières victimes. Ce sont eux qui, dès le mois de décembre, sont descendus dans les rues dire leur colère de n’avoir ni travail, ni droit ni avenir, et de n’avoir pour tout recours, face à un appareil clanique, corrompu et policier, que de s’immoler comme l’un d’entre eux venait de le faire, Mohamed Bouazizi. Alors ils ont manifesté et affronté les kapos qui voulaient les faire taire. Parce que le silence avait désormais un goût trop écœurant. Parce que les humiliations quotidiennes que leur infligeait une administration omnipotente, protégée par une police aux ordres, avaient usé en eux jusqu’à la peur. Et leur désespoir de cause devint pour toute la Tunisie l’espoir d’une cause commune.

Ça c’était avant que les grandes villes côtières, Sfax, Sousse et Tunis ne suivent leur exemple ; avant la fuite honteuse (ou la démission forcée) de Zine El-Abidine Ben Ali, et avant que, sous la liesse populaire de cette révolution, ils ne soupçonnent dans les manœuvres du gouvernement une restauration en sous-main. Eux que les brigades spéciales, dépêchées pour les mâter, avaient tirés comme des lapins, eux les héros anonymes d’une révolte sociale devenue une révolution nationale, n’allaient pas se faire confisquer le tribut de leur courage. Car pour eux cette révolution n’avait pas le parfum du jasmin, mais l’odeur de la mort de leurs camarades. Et celle d’un début de trahison. La veille, j’avais téléphoné à un ami de Tunis. Professeur dans le secondaire, Habib ne mâchait pas ses mots : « Ce gouvernement est une mascarade », me disait-il. De fait, le premier ministre Mohamed Ghannouchi, en poste depuis onze ans, avait opéré dans l’urgence un replâtrage de façade. Le régime avait peut-être perdu sa tête, mais pas ses serviteurs plus ou moins zélés, complaisants ou couards. Quelques unes de ses figures les plus éminentes demeuraient à leur place dans la nouvelle équipe. Huit des ministres du dernier gouvernement de l’ère Ben Ali étaient reconduits et tous les ministères régaliens, ceux du secret et du pouvoir réels, restaient aux mains de membres du RCD, l’omniprésent parti présidentiel. Conscients qu’ils cautionnaient par leur seule présence un gouvernement sans crédit, les trois ministres issus du Syndicat officiel, l’UGTT, venaient de démissionner sitôt nommés. Mustapha Ben Jafaar, président de la Formation Démocratique pour le Travail et la Liberté et lui aussi éphémère ministre, avait fait de même. Les deux autres représentants de l’opposition légale nommés au gouvernement, Najib Chebbi, le président du Parti Démocratique progressiste (PDP) et Ahmed Brahim du parti post-communiste Ettajdid, ne les avaient pas suivis. Confusion, tractations, malaise ! Et comme si le chaos et ses manipulations n’allaient pas de pair, les chiens avaient été lâchés, on agitait le spectre des pillards, sans préciser que ceux-ci étaient des miliciens armés du régime déchu, engagés dans une ultime parade de la terreur.

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La pensée de midi

Les archives de La Pensée de midi vont être déposées à la BMVR, bibliothèque de l’Alcazar à Marseille pendant l’été 2011

 » La pensée de Midi, revue littéraire et de débats d’idées apparaît comme un lieu d’échanges sur la Méditerranée contemporaine . Basée à Marseille et fondée en 2000 , elle réunit dans son comité de direction écrivains, sociologues, historiens de renom, sous la direction de Thierry Fabre. Élément essentiel de la vie culturelle marseillaise, la Pensée de midi s’inscrit dans le sillage des grandes revues d’idées qui ont marqué notre époque. Complémentaires des Fonds Littéraires méditerranéens de la BMVR, constitués autour de Jean Ballard et des Cahiers du Sud, les Archives de la Pensée de Midi alimentent et renouvellent la recherche. Ce don est pour la Bibliothèque une très heureuse opportunité. La BMVR.  »

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Marseille, le 2 mars 2011 MENACES SUR L’AVENIR DE LA REVUE
Lettre ouverte de La pensée de midi à la Région PACA*

Il fut un temps où cette Région était fière de défendre une revue littéraire et de débats d’idées. C’était, il est vrai, il y a un peu plus de dix ans, lorsque Toulon, Vitrolles, Marignane, Orange, étaient aux mains du Front National…

Il fut un temps où cette Région se préoccupait de culture, de réflexion, où elle encourageait les débats, comme ce fut par exemple le cas durant au moins cinq ans avec le Festival d’Avignon où elle demandait à La pensée de midi de les concevoir et de les animer…

Il fut un temps où cette Région défendait une réelle ambition en Méditerranée, où elle ne se contentait pas de vagues incantations. Manifestement cette époque est révolue…

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